Nos défaites

 

Qu’est-ce que l’engagement politique aujourd’hui pour la jeunesse ? À vaste question, réponses diverses. Grâce à un dispositif astucieux, avec les jeunes d’un lycée, le nouveau film de Jean-Gabriel Périot rend compte des métamorphoses de l’esprit de révolte.

Fruit d’une expérience menée en étroite collaboration, tant technique qu’artistique, avec des élèves de 1ère d’un lycée d’Ivry-sur-Seine, le nouveau film de Jean-Gabriel Périot (Une jeunesse allemande) s’intéresse à la place qu’occupe la politique dans la vie des adolescents d’aujourd’hui, ou, du moins, d’une certaine jeunesse, au profil social et géographique repéré. La construction du film est originale. Elle s’articule autour de deux dispositifs. D’une part, les ados rejouent mot à mot des extraits de films emblématiques de l’après-68 (La Salamandre, Camarades, La Reprise du travail aux usines Wonder, La Chinoise, etc.), de l’autre, ils se prêtent à des entretiens avec le réalisateur qui les interroge sur leur rapport personnel à l’engagement et au militantisme. Le film alterne ces deux temps, et ainsi, rend manifeste l’aisance avec laquelle ils réinterprètent et incarnent les extraits de ces œuvres au moins cinquantenaires, et l’impression de flottement, voire d’indécision quand il s’agit pour eux de donner leur définition du mot “syndicat”, “communisme” ou “révolution”. La parole devient vague, entrecoupée de silences. Elle signe la perte irrémédiable d’une culture de la contestation. Il est par exemple frappant de constater que l’écologie n’est pas mentionnée dans le cadre de leurs préoccupations citoyennes. Quelque chose s’est perdu, mais les jeunes ne sont pas responsables de cette perte. Depuis 1981 sans doute, les générations précédentes ont failli à préserver et à transmettre la fibre de la lutte politique. Peut-être est-ce là que réside une partie de nos défaites. Heureusement, la séquence et la citation (nous ne seront jamais faits du bois des victoires, mais de celui du combat) qui clôturent le film donnent des raisons d’espérer. En effet, peu après la fin du tournage initial, il y a eu le mouvement lycéen de contestation contre le dispositif Parcoursup. Le réalisateur est revenu au lycée pour retrouver ces mêmes jeunes peu après que certains d’entre eux ont participé au blocage de leur lycée, ou fait l’expérience de la garde à vue. On s’aperçoit alors que l’exercice a laissé des traces, parfois profondes. Avec leurs mots, leurs stratégies propres, ils ont vécu ce qu’ils avaient auparavant interprété. Leur parole s’incarne alors comme elle s’était incarnée au contact des mots des autres. Quelque chose semble revenir. Pour preuve, le film se termine par une séquence dont la force politique la hisse au niveau de ses illustres prédécesseurs. L’approche patiente et attentive de Jean-Gabriel Périot, l’intensité dialectique de son montage, favorisent l’élaboration d’une vraie réflexion sur le et la politique aujourd’hui. C’est ce qui lui permet d’être à la fois honnête et engagé. Armé seulement de quelques entretiens, et d’une prose d’un autre temps, Nos défaites parvient malgré tout à nous faire croire à une belle victoire : le lien que l’on avait cru rompu peut être renoué. C’est l’essentiel.

 

J.C.
Les Fiches cinéma
Octobre 2019